La publicité pour la littérature

Dévorez des livres. Gérard Philipe.

Si la défense de la lecture peut apparaître comme une mission « républicaine » à la charge des pouvoirs publics, la valorisation du livre relève davantage d’une lutte de corporation pour le maintien d’un secteur d’activité. C’est ainsi qu’à la suite de la crise que connaît le secteur à la fin des années quarante, le Syndicat National des Éditeurs, autour de Jean Bardet, éditeur au Seuil, lance en 1949 une grande campagne de promotion du livre, encore active en 1955. Alors que sous l’Ancien Régime le monde de la librairie se fondait sur un pouvoir plus culturel qu’économique, les éditeurs des XIXe et XXe siècles sont devenus des « négociants de la pensée » faisant commerce de l’immatériel, la littérature. Construisant des empires industriels, parfois en concurrence avec les grandes entreprises de presse, ils assurent leur pouvoir en faisant de leur nom une marque et en déployant tous les supports promotionnels inspirés des innovations techniques et graphiques : prospectus aux pliages originaux, flammes postales, paquets de cigarettes... Flammarion, Hachette, Hetzel, et plus tard Grasset ou Gallimard vont construire leur identité et conforter leur puissance économique au cours de cette période où s’opère une profonde évolution du monde du livre. En l’espace d’un siècle et demi, le livre se démocratise. S’inventent de nouveaux genres éditoriaux qui sont autant de créneaux commerciaux à investir (littérature pour la jeunesse, roman populaire, polar, « chick-lit ») dans l’espoir d’un best-seller.

Non ! Le livre ne coûte pas cher ! Catalogue général 1958

Pour pérenniser leur activité, les éditeurs vont devoir faire la promotion de leur image. C’est le cas du « Livre de poche », dont l’arrivée sur le marché dans les années cinquante a soulevé de nombreuses contestations au point d’être présenté par certains comme le symptôme même d'une mise en cause culturelle affectant le statut du livre (Yvonne Johannot, Quand le livre devient poche, 2013). Dans son catalogue de 1958, rendu célèbre par l’illustration de couverture réalisée par Séréville, la maison dirigée par Hachette convoque les plus grandes plumes pour défendre son action : Bazin affirme que le Livre de poche met « la bonne littérature à la portée du plus grand nombre » ; Philippe Hériat défend la démocratisation du roman et Jean Cocteau la transmission de la culture ; Jacques Prévert y voit la (re)construction d’une littérature riche parce que plurielle et Roger Nimier la faculté pédagogique du livre. Même le Général de Gaulle y reconnaît l’expression de « l’épreuve nationale », chère à sa politique.

De manière plus ciblée, les maisons d’édition peuvent faire la publicité d’une collection spécifique. Dans ce contexte contraint, il apparaît plus judicieux de réunir les productions sous une même bannière (comme c’est le cas avec la campagne « Aventurez-vous ! » de Phébus entre 1988 et 1992), d'harmoniser les catalogues, mais aussi d’optimiser les calendriers et de créer ainsi un effet d’attente chez le lecteur. La collection, objet plastique s’il en est (Benoît Marpeau, « La collection, objet éditorial paradoxal », in Collections éditoriales et travail du sens au XXe siècle, dir. B Marpeau, Les Cahiers du CRHQ, n°2), devient ainsi un moyen de transmission et de circulation symboliques (Régis Debray, Cours de médiologie générale, Paris, Gallimard, « Folios essais », 2001). Elle est aussi l’occasion pour l’éditeur de clarifier un discours trop souvent dilué dans les classements commerciaux proposés par les libraires et soumis à l’éparpillement (Alban Cerisier, « La collection, miroir de l'âme », dossier « Le concept de collection », in BBF, t. 55, n°3, 2010).

L’analyse des catalogues, qui sont pour les éditeurs de véritables outils pour penser et communiquer leur pratique, et des bulletins d’information (27 rue Jacob pour Le Seuil, L’Activité littéraire pour Albin Michel ou encore Propagande pour Verticales) permet de faire émerger des tendances. Au-delà d’une simple promotion des ouvrages disponibles, la manière de dresser des listes et de mettre des textes sur le devant de la scène dessine les lignes de force d’une politique éditoriale : ce faisant l’éditeur élabore aussi sa propre image ou, pour le dire en des termes empruntés au marketing, sa propre marque. Par ces supports, il diffuse son storytelling et construit son éthos, qu’il ait des résonnances commerciales, littéraires ou épistémologiques. Le Nouveau Roman est assurément, d’un point de vue esthétique, marqué par une grande hétérogénéité, par des refus théoriques et des dissensions poétiques. Il n’en reste pas moins, comme l’a montré Anne Simonin, le club fermé des écrivains publiés aux Éditions de Minuit entre 1951 et 1957, sous l’égide d’Alain Robbe-Grillet et de Jérôme Lindon (« Le catalogue de l’éditeur, un outil pour l’histoire. L’exemple des éditions de minuit », in Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2004, vol. 1, no 81). Mais l’éclectisme d’une production peut être l’occasion pour un éditeur de forger une nouvelle « marque » sous son nom. Ainsi, Bernard Grasset, chantre de la publicité littéraire, fait-il dans les années vingt de ses plus grands succès (Maurois, Mauriac, Montherlant, Morand) une entité promotionnelle et littéraire à part entière, les « 4M », qui devient alors un « produit » Grasset, bien plus qu’une collection cohérente.

Le procès. L'affaire Sade ou l'éternel procès

D’autres, comme Jean-Jacques Pauvert, affirment leur indépendance et s’exposent dans le contexte d’une contre-culture. La permanence des œuvres complètes de Sade au catalogue de ses éditions a un triple impact pour le moins significatif. Le matraquage promotionnel mis en place résulte d’abord du modèle économique construit pour la parution de grands ensembles. Ces publications qui s’étalent sur plusieurs tomes sont coûteuses à imprimer et à stocker, et ce même à des époques plus favorables. Pauvert, à qui la justice donne le droit de publier Sade en 1958, signifie également par cette répétition (qui durera jusqu’au début des années 1970) une forme d’insoumission, faisant ainsi de son action éditoriale une lutte contre la censure, et de ce combat une raison d’être littéraire et commerciale. Il exhibe ainsi son indépendance et son avant-gardisme, mais aussi sa victoire juridique, qu’il met d’ailleurs en scène dans les outils promotionnels de l’époque. Sade devient en quelque sorte l’alter ego de l’éditeur. Clandestin, honnis puis réhabilité, il est placé au cœur de la culture française. Au-delà de Sade, Pauvert et d’autres éditeurs font la promotion de la littérature érotique, de sa valeur esthétique, mais aussi de son caractère dissimulé (et donc destiné à des initiés). Un créneau littéraire se construit alors, avec La Jeune Parque, Le Palimugre ou encore les éditions Régine Desforges. Il exploite les possibles de l’œuvre sadienne tout autant qu’il l’enferme dans ses orientations pornographiques, et désigne des spécialistes (Lo Duca) capables de mettre des mots sur un mouvement à part entière (l’érotologie). Cette intervention à toutes les étapes de la construction du livre comme objet de consommation, place sensible notamment dans les outils promotionnels, confère à l’éditeur littéraire une « fonction auctoriale » bien réelle et trop rarement prise en compte.

La couverture, même lorsqu’elle ne présente aucune autre zone de texte que le nom de l’auteur et le titre du texte, constitue elle aussi une interface promotionnelle – un paratexte éditorial – de premier ordre. La grande sobriété est un indicateur à part entière de la littérature générale française et offre à Gallimard, dont la collection « Blanche » est marquée par ses cadres rouge et noir sur fond ocre, une sorte de soft power intellectuel. Julliard, Stock et sa collection bleue, Le Seuil avec son encadré rouge ou Albin Michel ne dérogent pas à cette tradition. Une marque s’élabore en filigrane, comme sur les couvertures des collections Points Seuil pour les sciences humaines ou avec le « masque et la plume » de la Librairie des Champs-Élysées pour le roman policier, les logotypes prenant une place essentielle dans la construction des univers littéraires. En mettant en avant des couvertures illustrées qui font écho au format atypique de ses livres, puis en adoptant presque systématiquement la jaquette, Actes Sud s’est affirmé aussi en dehors d’une école parisienne de l’édition. D’autres éditeurs peuvent revendiquer de manière plus radicale encore leur position éditoriale et leur refus de la sobriété afin de construire une image reconnaissable entre toutes. Telle est la position adoptée par Le Dilettante, maison à la fois exigeante et populaire. Le recours à des illustrations originales (Wolinski, Trondheim… ), à de grands noms de la peinture (Dubuffet) ou à des séries photographiques garantit une place de choix sur les étals des libraires, imprimant le livre dans la mémoire des lecteurs… et donc des acheteurs. Ainsi, un grand succès populaire tel que Billie d’Anna Gavalda (2013) est déjà orienté par l’ânon qui, sur la couverture, court dans un pré fleuri et par une typographie arrondie. Ces éléments constituent une première approche du roman, y compris pour tous les lecteurs qui n’en feront pas l’acquisition. En tant qu’affiche en réduction, selon le typographe Robert Massin (créateur, entre autres, des chartes graphiques pour les collections Folio et L’Imaginaire chez Gallimard), la couverture se drape d’une image et donc d’une visée beaucoup plus populaire qui offrent une couleur et une atmosphère au texte. Héritage du livre de poche qui s’impose en France à partir des années 1950, ce principe permet à un graphiste tel que Pierre Faucheux, dont les archives sont conservées à l’IMEC, d’utiliser cet espace comme le « générique » du texte.

F.G.

 
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