La publicité pour la littérature

Bibliothèque-vitrine laquée renfermant tout Victor Hugo illustré

Dès le XIXe siècle, la publicité s’attache non seulement aux livres, mais aussi à la personne, ou plutôt, au personnage de l’écrivain, qui devient tout à la fois objet de la publicité mais aussi objet publicitaire lui-même : son nom, son corps, son histoire, sont à présent traités comme des produits commercialisables, susceptibles de stimuler la vente de ses ouvrages. C’est l’émergence de l’écrivain comme marque, dont il faut assurer la pérennité et le succès, selon les stratégies d’un branding avant la lettre. Les écrivains du XIXe siècle vont se prêter avec plus ou moins de bonne grâce à cette nouvelle donne médiatique. Maupassant rappelle que Flaubert a toujours farouchement « dédaigné la publicité bruyante des feuilles répandues, les réclames officieuses » et surtout « les exhibitions de photographies aux vitrines des marchands de tabac, à côté d’un criminel fameux, d’un prince quelconque et d’une fille célèbre » (Maupassant, « Gustave Flaubert », La République des Lettres, 22 octobre 1876). Si Flaubert a repoussé avec dégoût cette marchandisation de l’écrivain, devenu un fétiche littéraire parmi d’autres, certains de ses confrères ont choisi d’y participer, impatients même de trouver leur place « au soleil de la publicité », selon l’expression consacrée du moment.

Mais avant que l’auteur ne se constitue en agent publicitaire de sa propre personne, c’est à l’éditeur qu’est revenue l’initiative de la promotion de l’écrivain. Parmi tous ceux qui, dans le premier XIXe siècle, ont révolutionné la fonction de l’éditeur, Pierre-François Ladvocat fait figure de précurseur. Comme Balzac le rappelle dans un exposé très circonstancié glissé dans la fiction d’Illusions perdues, l’affiche fut « une création neuve et originale du fameux Ladvocat », cet éditeur-libraire en vogue au début des années 1830, grâce à qui « Paris fut bientôt bariolé par les imitateurs de ce procédé d’annonce ». Après ces débuts remarqués, Ladvocat, comme d’autres, vont multiplier les supports promotionnels (prospectus, bons de souscription, catalogues, affiches…) pour asseoir leur activité commerciale et occuper l’espace public de leurs productions et de leurs auteurs.

4 jeunes romanciers<br />

Ces procédés spectaculaires ne sont pas réservés à la littérature populaire et ils intéressent aussi une production plus académique qui forge sa stratégie publicitaire sur la figure de l’auteur et sur le rapport qu’il entretient avec son œuvre. Misant sur les caractéristiques de chaque écrivain (le talent, l’originalité, la jeunesse…), les items promotionnels construisent un environnement culturel par des jeux de connivence et l’entretien d’un sentiment d’exception. Bernard Grasset fait ici figure de pionnier en mettant en avant la jeunesse de Radiguet pour la promotion du Diable au corps dans les actualités du cinéma (1922). L’écrivain est alors érigé en icône. Si le recours au portrait pour la promotion des œuvres est relativement répandu depuis la fin de la Renaissance, la présence corporelle de l’écrivain s’impose progressivement à tous les niveaux de la « mise en vitrine » littéraire. L’auteur incarne, à côté du livre dont le caractère objectal tend lui aussi à être représenté, une œuvre, une signature artistique. L’image de son visage – dessinée puis photographiée – au service d’une approche à la fois solennelle et spectaculaire de la littérature se répand largement au moment où l’industrie du livre prend son « virage marketing » (1970). Tirant profit de sa présence dans les médias (radio, presse spécialisée, télévision – Apostrophes, émission diffusée de 1975 à 1990, étant considérée comme un rendez-vous promotionnel de premier ordre), l’écrivain s’affirme alors comme le premier prescripteur de son œuvre.

À la fin du XXe siècle, les supports mettant en scène l’auteur et son livre envahissent les librairies, les surfaces commerciales et culturelles, mais aussi les lieux traversés par des trajets pendulaires (couloirs et quais de métro, gares, aéroports…). Le lecteur ne peut plus manquer ce rendez-vous pris avec une individualité créatrice qui, au détour des bandes promotionnelles, d’affiches ou de booklet, se construit comme une marque à part entière. À l’ère du web 2.0, les auteurs occupent la sphère numérique à travers des sites internet, blogs ou autres comptes dédiés (certains « officiels ») sur les réseaux sociaux. Au-delà d’une présence dans le débat (intellectuel, politique, culturel) qui se joue là, l’écrivain y assure une forme d’autopromotion en communiquant sur ses « actualités » (qu’elles relèvent d’une pure promotion ou d’un work in progress). Au fur et à mesure de l’autonomisation des « champs » que sont la littérature et la publicité, les démarches de promotion se complexifient et tentent de se plier à la spécificité de chaque auteur et de son univers littéraire, parfois avec l’aide d’agences publicitaires spécialisées pour construire de réels plans de communication (comme « PPP Conseil »).

Dans ce grand étalage de la littérature (séances de dédicaces, salon du livre, interviews, prix littéraires...), la « marque-auteur » devient une pièce centrale du puzzle publicitaire, que l'écrivain choisisse ouvertement de contribuer à son hypermédiatisation (Philippe Sollers), qu’il s'efforce au contraire de s'y dérober (Julien Gracq) ou qu’il tente périlleusement de concilier les deux (Jean Cocteau).

B.D. & F.G.

Page précédente