La publicité pour la littérature
Dès le XIXe siècle, la publicité s’attache non seulement aux livres, mais aussi à la personne, ou plutôt, au personnage de l’écrivain, qui devient tout à la fois objet de la publicité mais aussi objet publicitaire lui-même : son nom, son corps, son histoire, sont à présent traités comme des produits commercialisables, susceptibles de stimuler la vente de ses ouvrages. C’est l’émergence de l’écrivain comme marque, dont il faut assurer la pérennité et le succès, selon les stratégies d’un branding avant la lettre. Les écrivains du XIXe siècle vont se prêter avec plus ou moins de bonne grâce à cette nouvelle donne médiatique. Maupassant rappelle que Flaubert a toujours farouchement « dédaigné la publicité bruyante des feuilles répandues, les réclames officieuses » et surtout « les exhibitions de photographies aux vitrines des marchands de tabac, à côté d’un criminel fameux, d’un prince quelconque et d’une fille célèbre » (Maupassant, « Gustave Flaubert », La République des Lettres, 22 octobre 1876). Si Flaubert a repoussé avec dégoût cette marchandisation de l’écrivain, devenu un fétiche littéraire parmi d’autres, certains de ses confrères ont choisi d’y participer, impatients même de trouver leur place « au soleil de la publicité », selon l’expression consacrée du moment.
Mais avant que l’auteur ne se constitue en agent publicitaire de sa propre personne, c’est à l’éditeur qu’est revenue l’initiative de la promotion de l’écrivain. Parmi tous ceux qui, dans le premier XIXe siècle, ont révolutionné la fonction de l’éditeur, Pierre-François Ladvocat fait figure de précurseur. Comme Balzac le rappelle dans un exposé très circonstancié glissé dans la fiction d’Illusions perdues, l’affiche fut « une création neuve et originale du fameux Ladvocat », cet éditeur-libraire en vogue au début des années 1830, grâce à qui « Paris fut bientôt bariolé par les imitateurs de ce procédé d’annonce ». Après ces débuts remarqués, Ladvocat, comme d’autres, vont multiplier les supports promotionnels (prospectus, bons de souscription, catalogues, affiches…) pour asseoir leur activité commerciale et occuper l’espace public de leurs productions et de leurs auteurs.
Au fil du siècle, ces éphémera prennent une place de plus en plus importante dans les vitrines des libraires comme sur les murs de la ville, inventant une nouvelle forme de poésie urbaine : « le poème de l’annonce ». Le nom de l’auteur et le titre du livre s’exposent à présent en caractères typographiques surdimensionnés, diffusant un message à la fois spectaculaire et minimaliste que vont relayer en écho toute une batterie de nouveaux supports. C’est à donner le vertige, du moins à l’auteur qui se trouve ainsi projeté au cœur d’une polyphonie publicitaire, comme le note Edmond de Goncourt dans son Journal, le 31 octobre 1881 :
Des affiches de toutes les couleurs, de toutes les grandeurs, couvrant les murs de Paris, et partout en lettres colossales : LA FAUSTIN. Au chemin de fer, une annonce peinte mesurant 40 mètres sur une largeur de 275. Ce matin le numéro du Voltaire, tiré à 120 000 et donné aux passants. Ce matin encore, distribuée, sur les boulevards, une chromolithographie représentant une scène du roman, et distribuée à 10 000, et dont la distribution doit durer une semaine.
Les auteurs semblent collaborer de plus en plus volontiers à la promotion publicitaire de leurs œuvres, notamment en se construisant une identité promotionnelle, une « image de marque ». De Lamartine à Zola, en passant par Hugo, Balzac, Maupassant, sans oublier les nouvelles gloires de la littérature populaire et du feuilleton – les Sue, Soulier et autres Paul de Kock –, les écrivains partent à la conquête du pouvoir médiatique que leur procure la publicité. À la fin du siècle et plus encore au début du suivant, on fustige cet engouement publicitaire devenu une véritable furie : « On est épouvanté quand on suit d'un peu près le mouvement littéraire de notre époque. Jamais on n'a vu se déchaîner une telle frénésie de production, de publicité, d'argent, de réclame. » C’est ce qu’écrit Antoine Albalat en 1925 dans un livre, dont le titre – Comment on devient écrivain – laisse entendre incidemment que la stratégie a remplacé la vocation comme opérateur de la carrière littéraire.
Une vie médiatique s’organise autour de la production littéraire traitée comme autant d’événements à célébrer. Éditions et rééditions, déclinées dans différents formats, illustrées ou pas ; publications dans la presse ; souscriptions : tout est occasion de lancements à grands renforts de scénographies conniventes : crieurs, colporteurs, affiches, prospectus présentant les bonnes feuilles, ou encore voitures-réclames, festivités littéraires et même bals, comme ce « bal de l’Élysée-Montmartre », organisé par Zola et ses amis le 29 avril 1879 pour célébrer la centième de l’adaptation théâtrale de L’Assommoir.
Après la Première Guerre mondiale, le lancement des feuilletons prend plus d’ampleur, devenant une sorte d’étape incontournable plébiscitée par les feuilletonistes eux-mêmes. Tel est le cas, par exemple, de Pierre Souvestre et de Marcel Allain, les créateurs de Fantômas, qui, au moment de signer un contrat avec les quotidiens, négocient de grandes campagnes publicitaires.
Ces procédés spectaculaires ne sont pas réservés à la littérature populaire et ils intéressent aussi une production plus académique qui forge sa stratégie publicitaire sur la figure de l’auteur et sur le rapport qu’il entretient avec son œuvre. Misant sur les caractéristiques de chaque écrivain (le talent, l’originalité, la jeunesse…), les items promotionnels construisent un environnement culturel par des jeux de connivence et l’entretien d’un sentiment d’exception. Bernard Grasset fait ici figure de pionnier en mettant en avant la jeunesse de Radiguet pour la promotion du Diable au corps dans les actualités du cinéma (1922). L’écrivain est alors érigé en icône. Si le recours au portrait pour la promotion des œuvres est relativement répandu depuis la fin de la Renaissance, la présence corporelle de l’écrivain s’impose progressivement à tous les niveaux de la « mise en vitrine » littéraire. L’auteur incarne, à côté du livre dont le caractère objectal tend lui aussi à être représenté, une œuvre, une signature artistique. L’image de son visage – dessinée puis photographiée – au service d’une approche à la fois solennelle et spectaculaire de la littérature se répand largement au moment où l’industrie du livre prend son « virage marketing » (1970). Tirant profit de sa présence dans les médias (radio, presse spécialisée, télévision – Apostrophes, émission diffusée de 1975 à 1990, étant considérée comme un rendez-vous promotionnel de premier ordre), l’écrivain s’affirme alors comme le premier prescripteur de son œuvre.
À la fin du XXe siècle, les supports mettant en scène l’auteur et son livre envahissent les librairies, les surfaces commerciales et culturelles, mais aussi les lieux traversés par des trajets pendulaires (couloirs et quais de métro, gares, aéroports…). Le lecteur ne peut plus manquer ce rendez-vous pris avec une individualité créatrice qui, au détour des bandes promotionnelles, d’affiches ou de booklet, se construit comme une marque à part entière. À l’ère du web 2.0, les auteurs occupent la sphère numérique à travers des sites internet, blogs ou autres comptes dédiés (certains « officiels ») sur les réseaux sociaux. Au-delà d’une présence dans le débat (intellectuel, politique, culturel) qui se joue là, l’écrivain y assure une forme d’autopromotion en communiquant sur ses « actualités » (qu’elles relèvent d’une pure promotion ou d’un work in progress). Au fur et à mesure de l’autonomisation des « champs » que sont la littérature et la publicité, les démarches de promotion se complexifient et tentent de se plier à la spécificité de chaque auteur et de son univers littéraire, parfois avec l’aide d’agences publicitaires spécialisées pour construire de réels plans de communication (comme « PPP Conseil »).
Dans ce grand étalage de la littérature (séances de dédicaces, salon du livre, interviews, prix littéraires...), la « marque-auteur » devient une pièce centrale du puzzle publicitaire, que l'écrivain choisisse ouvertement de contribuer à son hypermédiatisation (Philippe Sollers), qu’il s'efforce au contraire de s'y dérober (Julien Gracq) ou qu’il tente périlleusement de concilier les deux (Jean Cocteau).
B.D. & F.G.