Les marques éditrices et la bibliophilie commerciale
Dès 1905, paraissait sur papier glacé, assorti de reproductions couleur d’œuvres d’art, le bi-mensuel Chanteclair, revue artistique et médicale placée sous la direction de la Carnine Lefrancq, "remède héroïque des anémies, de la chlorose, du lymphatisme et de toutes les déchéances physiques". Mais ce n’est qu’après-guerre que cette presse d’entreprise connaît un développement foudroyant, atteignant dans les années 1960 près de 1000 titres pour les seules revues médicales. Il n’est pas de constructeur d’automobiles, pas de laboratoire pharmaceutique, pas d’entreprise de quelque force financière qui n’ait son périodique, destinée à "maintenir avec ses clients un contact amical et confiant", comme s’en prévalait la revue Cenpa, du nom de la Centrale papetière J-B Weibel ("un pas vers Cenpa, cent pas vers la fortune", tel était son slogan).
Fleuron du genre, la somptueuse revue Art et Médecine lancé en 1930 par le docteur François Debat, directeur des laboratoires du même nom, manifeste une ambition comparable à celle des premiers hebdomadaires photographiques de la presse magazine, comme Vu, créé par Lucien Vogel en 1928 ou Voilà, lancé en 1931 par Gaston Gallimard et les frères Kessel. On y retrouve, au demeurant, les noms des mêmes photographes en vue de l’époque : Kertész, Schall, Illa, Zuber… L’importance de ces revues – en termes de format, de nombre de pages, de qualité graphique ou de renom des "signatures" – qui dépend de la puissance financière des commanditaires, est très variable : de quelques feuillets (ce qui rapproche les plus minces d’entre elles du prospectus) à une centaine de pages, pour le mensuel de luxe Synthèse, édité à partir de 1933 par la Société anonyme française d’édition et de publicité pour un consortium de laboratoires, qui se voulait la vitrine de la publicité pharmaceutique, dans une perspective concurrente de la prestigieuse revue Arts et Métiers Graphiques.
Nombre d’écrivains, y compris ceux qui ne souhaitaient pas se compromettre dans la "publicité littéraire", ont volontiers cédé aux avances de ces revues commerciales à contenus culturels variés (Mieux Vivre, Visages du monde…), instructives (Acier, Kodak, Air France revue), divertissantes (Diversion, Divertissements) ou humoristique (Ridendo, Broyer du noir…). Moins compromettantes que la grande presse, en raison de leur diffusion plus restreinte, elles étaient aussi moins contraignantes sur le plan de la commande. Cocteau donne ainsi un texte sur Marie Laurencin au magazine "automobile et touristique" des usines Ford, Vedette ; un autre sur Proust à la revue bimestrielle FIAT, vendue au numéro ou par abonnement, qu’édite la société industrielle de mécanique et de carrosserie automobile à Nanterre, fabricant en France des automobiles "Fiat". Celle-ci propose à ses lecteurs des numéros thématiques au sommaire desquels figurent les noms de Morand, Carco ou Giono, sans compter l’incontournable Colette dont plusieurs textes ont également été pré-publiés dans la Gazette Dunlop, Art et industrie, la Revue Matford, avant d’être réintégrés à son œuvre.
M.B.