Les marques éditrices et la bibliophilie commerciale
Sous l’impulsion d’un Charles Peignot (le fondateur de la prestigieuse revue Arts et Métiers Graphiques, d’un Maximilien Vox (qui réalisa la plupart des couvertures de Grasset dans les années 1920), la bibliophilie commerciale connaît de riches heures, avec ses inventions graphiques et typographiques, ses reliures innovantes et ses flamboyantes couvertures réalisées par les plus grands imprimeurs du temps (Devambez, Draeger, Tolmer). La distribution est prestigieuse – et parfois insolite : Valéry et le peintre Matisse (pour les parfums Raucour), Cendrars et l’affichiste Cassandre (pour les bijoux Templier), le précieux Francis de Miomandre et le délicat dessinateur Robert Bonfils pour les huiles de graissage A. André fils, Antoine Blondin pour Vichy Saint-Yorre…
Quand les plaquettes et les catalogues publicitaires veulent se faire aussi beaux que le livre et briguent les honneurs de la bibliothèque, quand la "propagande commerciale", comme il se disait, n’hésite pas à se glisser dans le moule de la littérature et à lui emprunter ses supports et ses auteurs, il n’y a plus qu’un pas à franchir pour que la marque se fasse éditeur à part entière. Se dotant à l’occasion d’un "service littéraire", les laboratoires pharmaceutiques, tout particulièrement, qui disposaient d’importants budgets publicitaires, ont lancé des collections de grands textes classiques, de pastiches ou d’inédits à tirages limités, édités à grands frais dans des livres illustrés adressés à leurs prescripteurs. Les revues d’entreprises dont le nombre se multiplie à partir des années 1920 ont offert aux écrivains l’occasion de placer des articles portant sur des thématiques culturelles très diverses : biographies, souvenirs de voyages, réflexions sur des thèmes de société, chronique artistique ou humoristique. En permettant aux écrivains d’élargir leur lectorat au-delà du cercle restreint des revues littéraires, ces marques ont également joué, pour la plus grande gloire de l’entreprise, le rôle de mécènes.
M.B.