Les écrivains publicitaires
Dans César Birotteau (1837), Balzac dresse le portrait charge d’un rédacteur publicitaire, Andoche Finot, technicien des mots, artisan de la formule qui fera mouche. Le romancier en fait une figure d’écrivain raté et sans scrupule, grenouillant dans les rédactions des journaux pour placer annonces et réclames. Le "type" balzacien aura la vie dure, synthétisant les préventions des milieux culturels à l’égard de la publicité commerciale et de la contrainte médiatique. Birotteau et Popinot, parfumeurs, doivent pourtant à Finot et à son prospectus le succès de leur produit vedette, l’huile céphalique, un cosmétique capillaire. La rédaction publicitaire exige un certain talent de plume. Les écrivains, les poètes sont sollicités. Théophile Gautier a commis des argumentaires pour une Société Œnophile, pour des parfumeurs également : "Cela ne m’a jamais ennuyé à faire, disait-il. La morbidezza de la peau, le pollen des fleurs, la rosée mise en flacon, ne constituaient pas à mes yeux de la littérature pure. J’écoutais avec intérêt les parfumeurs, gens forts intelligents, et je n’étais, en réalité, que l’homme chargé de rendre leurs idées sous une forme attrayante" (Charles de Spoelberch de Lovenjoul, Histoire des œuvres de Théophile Gautier, t. 1, 1887). En 1837, Gautier est sans le sou. La rédaction de prospectus est lucrative, elle est distrayante, elle n’est pas signée. L’anonymat protège la réputation de l’écrivain qui différencie sans ambiguïté l’écriture littéraire de la production publicitaire, travaux rémunérés d’habile technicien.
Patron de presse, directeur du Figaro sous le Second Empire, Hippolyte de Villemessant a œuvré comme courtier en publicité et rédacteur de réclames. Pour lancer La Sylphide, journal de modes, il démarche en 1839 les annonceurs, commerçants et boutiquiers parisiens. Guerlain et ses confrères, rue de la Paix, cèdent à ses avances. Il manque encore un marchand de blanc au tableau de chasse : "Je me munis d’une petite réclame que j’avais bibelotée la veille à propos des toilettes de mariées et des corbeilles de fiançailles, et je pars pour le quartier Saint-Jacques, siège des magasins Oudot." Le propriétaire, vénérable vieillard à principes, hostile à la contagion publicitaire, est conquis par le texte et son éloge final : "Les magasins Oudot, cette vieille maison de confiance et de probité". Il paie comptant les douze insertions dans le journal (Mémoires d’un journaliste, t. 1, 1872). Villemessant excellait dans les "réclames canards", ces fausses nouvelles truffées d’adresses de magasins, de recommandations commerciales payées.
Les abus de la réclame, sa rhétorique artificieuse finiront par lasser le public qui apprend peu à peu à les discerner. Un titre en particulier, Le Tintamarre, œuvre paradoxalement à le dessiller. Cette petite feuille littéraire est fondée en 1843, succédant au Tam-Tam, né en 1835. Ces journaux hebdomadaires d’annonces permanentes jouent double jeu. Gratuits, vivant de l’annonce, ils tympanisent à longueur de colonne le charlatanisme publicitaire. Le Tintamarre, qui devient payant en 1855, est sous-titré "satire de la réclame, critique des puffistes". Nadar y publie des caricatures. Le directeur du journal, son chef de meute, s’appelle Jean-Louis-Auguste Commerson, patronyme qui prête fréquemment au calembour dans le journal : "Commerson, commerçons !". On reconnaît aussi sa verve railleuse et "blagophile" sous le pseudonyme de Joseph Citrouillard. La formule journalistique est explosive mais elle est rentable (le numéro du 29 juin 1862 donne les chiffres de deux millions d’exemplaires vendus par an et de 135 000 abonnés) et les annonceurs suivent en avalant la pilule d’une critique qui, en regard de leurs publicités, fait doublement parler d’eux auprès d’une large audience parisienne. Dans son Annuaire de la presse française (1880), Émile Mermet définissait bien le "genre tintamarresque", resté unique avec ses "allures sans gêne […], son sans-façon, son débraillé, sa tournure bohème, ses manières gamines, son franc-parler, ses charges d'atelier, son insouciance".
Les poèmes burlesques abondent au XIXe siècle, parfois jusqu’au second degré d’une ironie tintamarresque, le plus souvent sur le registre bon enfant de l’humour. Le message commercial passe en divertissant, la forme poétique facilite la mémorisation tout comme les airs connus. Étienne Ducret, dramaturge malheureux mais grand producteur de littérature foraine, a écrit de nombreux poèmes et chansonnettes publicitaires. Son Album des spécialités en vogue (1875), près de dix mille vers, rassemble son œuvre dispersée de "publicité collective", annonces et prospectus rimés pour l’Amer-Picon, des magasins de modes comme La Nouvelle Héloïse et A Voltaire (ce siècle aime les enseignes littéraires), le chocolat Menier de Noisiel ou l’inépuisable Encrier magique. Dans la troupe des poètes de réclame, souvent anonymes, on trouve des chansonniers et des merles moqueurs, comme Commerson, de bons et de mauvais faiseurs, d’honnêtes artisans du vers et des Mirlitons mercenaires ; des imitateurs en tous genres, s’inspirant des classiques comme des modernes, d’Homère, de Lamartine ou de Victor Hugo ; des joueurs, amateurs de jeux de lettres comme l’acrostiche, oulipiens avant l’heure ; des phraseurs, pour qui la poésie se confond avec l’éloquence, quelques poètes dessinateurs – doués pour le trait en général, de l’esprit et du crayon : au siècle suivant, Cocteau réalisera la synthèse, conjuguant régulièrement ces deux talents au service des marques en quête de visuels expressifs. Nos slogans publicitaires, qui s’accrochent dans l’œil et dans la mémoire, sont à certains égards les héritiers concis de la réclame en vers, tradition ancienne que le XIXe siècle perfectionne et perpétue, en la médiatisant.
L.G.