Les écrivains publicitaires
Tel fut le sort de Francis Ponge à l’Office Général d’édition et de Publicité (OGEP), spécialisé dans la régie de budgets, la réalisation d’imprimés et la production de films publicitaires, qui l’emploie à partir de début août 1953. Il y restera un peu plus d’une année, durant laquelle il rédige des slogans, des prospectus, des articles rédactionnels et des scénarios pour la radio ou le cinéma, destinés à promouvoir des produits aussi divers que le rhum Nigéria, le désodorisant Saniflor ou le rouge à lèvres Lenthéric. Bien que sa notoriété littéraire soit déjà bien établie, l’OGEP ne l’embauche pas pour son nom mais pour ses compétences rédactionnelles. Comme il est de règle dans ce type de contrat, il ne signe pas ses réalisations : un anonymat protecteur et libérateur à certains égards, mais qui n’en fait pas moins valoir la part d’instrumentalisation de l’écrivain inhérente à ces besognes publicitaires. Soumis à des objectifs précis, celui-ci doit avant tout satisfaire aux besoins de la clientèle et s’adapter à la demande qui lui est transmise. Jean Anouilh se souvient de ces fameux "DU" ("dossier unifié, dans le jargon du bureau"), que l’on nomme aujourd’hui des briefs, qu’il fallait expédier à raison de deux ou trois par jour. Le jeune Anouilh n’a pas encore fait ses premiers pas d’auteur lorsqu’il entre en 1929 comme "concepteur-rédacteur" chez Damour, l’une des principales agences européennes de publicité créée dix ans plus tôt par Etienne Damour. Il y travaille aux côtés de Jacques Prévert. Céline fut aussi collaborateur médical et rédacteur publicitaire pour les laboratoires Gallier et Cantin, Violette Leduc pour les frères Lissac, Marie Cardinal pour une coopérative laitière… et bien d’autres écrivains encore, qui n’en ont pas toujours fait état, ont travaillé pour la pub.
M.B.