Les écrivains publicitaires

Canderel. Le Livre
Bien différente de la pratique de la publicité d’auteurs est la condition de l’écrivain qui se fait professionnel de la publicité, agent de commerce aussi bien que rédacteur. Le fait ne date pas du XXe siècle. Zola travaillait au service de publicité chez Hachette et Frédéric Mistral fut chef de publicité du Savon du Congo. Plus proche de nous, André Gaillard, le poète qui ouvrit les Cahiers du Sud au surréalisme, dirigeait les services de publicité de la Compagnie de Navigation Paquet. Contrairement à l’auteur qui ne prête qu’occasionnellement sa plume et son nom à une marque, moyennant l’apposition de sa griffe sur un produit, les écrivains employés par une firme ou une agence pour leurs compétences rédactionnelles se doivent d’oublier le créateur au profit du créatif. À moins qu’ils ne soient exceptionnellement leur propre patron comme Armand Salacrou, héritier de l’officine de sa famille, ils perçoivent un salaire fixe mais peuvent aussi travailler à la commission et toucher des primes.
 

Tel fut le sort de Francis Ponge à l’Office Général d’édition et de Publicité (OGEP), spécialisé dans la régie de budgets, la réalisation d’imprimés et la production de films publicitaires, qui l’emploie à partir de début août 1953. Il y restera un peu plus d’une année, durant laquelle il rédige des slogans, des prospectus, des articles rédactionnels et des scénarios pour la radio ou le cinéma, destinés à promouvoir des produits aussi divers que le rhum Nigéria, le désodorisant Saniflor ou le rouge à lèvres Lenthéric. Bien que sa notoriété littéraire soit déjà bien établie, l’OGEP ne l’embauche pas pour son nom mais pour ses compétences rédactionnelles. Comme il est de règle dans ce type de contrat, il ne signe pas ses réalisations : un anonymat protecteur et libérateur à certains égards, mais qui n’en fait pas moins valoir la part d’instrumentalisation de l’écrivain inhérente à ces besognes publicitaires. Soumis à des objectifs précis, celui-ci doit avant tout satisfaire aux besoins de la clientèle et s’adapter à la demande qui lui est transmise. Jean Anouilh se souvient de ces fameux "DU" ("dossier unifié, dans le jargon du bureau"), que l’on nomme aujourd’hui des briefs, qu’il fallait expédier à raison de deux ou trois par jour. Le jeune Anouilh n’a pas encore fait ses premiers pas d’auteur lorsqu’il entre en 1929 comme "concepteur-rédacteur" chez Damour, l’une des principales agences européennes de publicité créée dix ans plus tôt par Etienne Damour. Il y travaille aux côtés de Jacques Prévert. Céline fut aussi collaborateur médical et rédacteur publicitaire pour les laboratoires Gallier et Cantin, Violette Leduc pour les frères Lissac, Marie Cardinal pour une coopérative laitière… et bien d’autres écrivains encore, qui n’en ont pas toujours fait état, ont travaillé pour la pub.

M.B.

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